Ce mois d’octobre est marqué par la campagne de lutte contre le cancer du sein. Avec plus de 61 000 nouveaux cas chaque année, le cancer du sein est un véritable enjeu de santé publique. Dans notre newsletter de l’an dernier, nous vous avions parlé des différentes prises en charge possibles au niveau kinésithérapeutique.
Mme X, une consœur en exercice, nous avait répondu en nous indiquant qu’elle saluait cette information, d’autant plus qu’elle était elle-même atteinte d’un cancer du sein.
Cette année, nous avons souhaité la mettre à l’honneur et qu’elle puisse témoigner de son histoire en tant que patiente, mais aussi en tant que patiente kinésithérapeute.
Contexte : Madame X, MK non spécialisée, présente un carcinome infiltrant non spécifique de grade 2 avec atteinte ganglionnaire diagnostiqué en février 2022.
- Bonjour, quel a été votre ressentiment à la suite de l’annonce de la maladie ?
Mon premier sentiment a été de la colère envers le centre d’examen qui m’avait diagnostiqué un simple kyste à surveiller 5 mois plus tôt, puis de l’incompréhension car je suis sportive, je mange équilibré, je n’utilise pas de déodorant agressif, je ne prends pas la pilule. Je pensais faire ce qu’il fallait pour que cela ne m’arrive pas.
- Quelle a été votre consultation initiale ?
Une petite boule sentie à la palpation me fait consulter mon médecin en septembre 2020, l’échographie et la mammographie montrent un « kyste » à surveiller.
5 mois plus tard, la tumeur a doublé de volume, les bords sont irréguliers. On me fait une biopsie dès le lendemain. Le verdict tombe quelques jours après par mon médecin traitant qui est très rassurant car mon cancer est hormonal et il réagit bien aux traitements.
Je continue de travailler quelques semaines malgré les nuits difficiles et en jonglant entre les différents rendez-vous (oncologue, chirurgien, PET scan, IRM, pose de la chambre implantable…).
- Oui, vous avez été très vite prise en charge de façon spécifique. Quel a été le protocole que vous avez suivi ?
Il y a tout d’abord eu la pose d’un clip pour repérer la zone de la tumeur, puis une chimiothérapie néoadjuvante (4 grosses et 12 « petites » chimiothérapies) de mars à août, suivi fin septembre d’une opération en zonectomie (la chimio a très bien fonctionné et l’opération ne sera pas dévastatrice) et ablation de toute la chaine ganglionnaire.
Puis radiothérapie jusqu’en janvier 2022.
Et enfin hormonothérapie journalier depuis (pour 8 ans)
- Quelle a été la place de la Kinésithérapie ?
Il y a eu tout de suite une prise en charge après l’intervention chirurgicale car lourdeur du bras et douleur lombaire par une masseur-kinésithérapeute formée en DLM et cancer. Ma ville n’est pas grande. On connait tous les kinés et leur spécificité et elle suivait déjà une amie à moi en récidive de cancer du sein.
- La 1ère séance : comment s’est-elle passée ?
Difficile de passer de l’autre coté de la barrière surtout en sachant que tous les kinés sont débordés dans notre région. Je n’ai pas eu de problème ni pour me déshabiller, ni vis à vis du regard de l’autre. C’est une professionnelle et elle est habituée.
La rééducation m’a beaucoup aidée notamment grâce à énormément de discussions avec ma thérapeute.
- Avez-vous eu des effets indésirables suite aux traitements ?
J’ai eu une sinusite aspergillaire opérée (conséquence des chimio) et douleurs lombaires ++++ (soignées par kiné puis infiltration)
- Avez-vous eu recours à une médecine parallèle ? (Coupeur de feu, naturopathe …)
Acupuncture deux mois, homéopathie et coupeur de feu. J’ai une famille et des amis extraordinaires qui m’ont fait une cagnotte pour payer ces soins annexes et ma prothèse capillaire.
- Parlons un peu de ce passage de kinésithérapeute à patiente. Quel a été votre ressenti ?
- Quelle a été votre relation avec le MK en tant que MK ? Je me sentais « incompétente » de ne pas réussir à trouver la raison de ces lourdeurs dans le bras. La kiné ne sentait pas de problème lymphatique. Je commençais à croire que ces douleurs étaient psychosomatiques avec la peur de reprendre le travail après plus d’un an d’arrêt.
Après consultation d’un médecin de la douleur, il s’est avéré que mes douleurs provenaient de douleurs projetées de mon petit pectoral. Des séances de mésothérapie et un travail avec la kiné ont soulagé cette gêne.
- Être MK : frein ou pas dans sa propre rééducation ? Être MK m’a aidée car je connaissais déjà les gestes à faire notamment. De plus, la prise en charge par une collègue a été plus rapidement mise en place
- Que retenez-vous des conseils d’éducation thérapeutique ?
Je continue à étirer mon petit pectoral tous les matins au réveil.
J’évite de porter et je désinfecte aussitôt à la moindre blessure au bras.
- Cette rééducation a-t-elle changée votre quotidien ? (Sport, alimentation, habits, mode de vie, travail, …)
Je continue à pratiquer du sport en m’obligeant deux fois, une heure par semaine. La phrase de l’oncologue me trotte dans la tête : « Le sport évite les récidives ».
J’évite les vêtements qui me serrent le bras et les petites bretelles qui montrent la cicatrice de ma chambre implantable
- Qu’en est-il de votre vie aujourd’hui ?
– Je fais passer ma vie de famille avant tout. J’ai aussi franchi le cap de changer de cabinet dans lequel je travaillais depuis 18 ans et où je n’étais pas heureuse avec un rythme de travail de mes collègues qui m’oppressait (à peine le temps de se dire bonjour).
Quand j’ai des projets, je fais tout pour les réaliser sans me dire « on verra plus tard » car on ne sait pas de quoi demain sera fait et j’ai toujours l’impression d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. A chaque bilan, j’ai l’impression de redémarrer une nouvelle vie.
- Vous avez aussi une vie associative fournie : Je participe dès que je peux à des évènements contre le cancer mais pas assez à mon goût. J’espère pouvoir donner plus de mon temps une fois mes deux enfants partis de la maison.
- Et vous témoignez : Je parle ouvertement de mon histoire à mes patients en espérant que cela puisse les sensibiliser à cette maladie.
Je mets en garde également sur le cancer blues (j’ai appris par la suite que 25 % des patients passaient par là). Pendant tout le temps de la bataille contre le cancer, j’ai été forte et je ne me suis pas posée de question…il fallait y aller. Mais une fois les traitements terminés, c’est le vide et la vie doit reprendre son cours et ce n’est pas si simple ! Personne ne m’avait prévenu et je n’ai pas compris ce qu’il se passait quand, en sortant de ma dernière radiothérapie, je me suis mise à pleurer pendant des heures au lieu de sauter de joie.
- Coté professionnel, cela a dû également engendrer des changements. Vous nous avez parlé d’un changement de cabinet.
Oui, J’ai changé de cabinet pour travailler presque toujours, à un patient par demi-heure et dans une ambiance zen. J’ai eu 18 mois d’arrêt au total et une reprise en libéral à mi-temps sur 6 mois.
Je ne fais plus partie du système de garde car je peux faire une kiné respiratoire mais mon bras ne pourrait pas en enchainer plusieurs sans voir réapparaitre ces lourdeurs dans le bras.
Enfin dans ma pratique, Je limite les prises en charge de patients avec de fortes rétractions et j’alterne avec des soins plus légers.
- Merci à vous pour ce témoignage enrichissant qui permet de mieux appréhender toutes les atteintes de cette maladie.